Pourquoi parler de valeurs ?
Chaque système économique met certaines valeurs de l’avant et en relègue d’autres à l’arrière-plan. Il en résulte que certains groupes de personnes y trouvent avantage, tandis que d’autres en sont désavantagés.
Par exemple, un système peut valoriser la compétition et la réussite individuelle, alors qu’un autre mettra plutôt l’accent sur le partage et la collectivité. Ces choix de valeurs influencent profondément la manière dont les ressources sont produites, réparties et utilisées.
Si j’entreprends ce travail, c’est parce que le système dans lequel je vis aujourd’hui se heurte à mes propres valeurs. Pour que mes idées soient comprises clairement, il est essentiel de définir d’abord quelles sont les valeurs que je souhaite voir reflétées dans le fonctionnement d’un système.
Il ne s’agit pas ici des valeurs personnelles que chaque individu doit posséder, mais bien des valeurs collectives qui servent de base au fonctionnement du système économique et qui encadrent le partage des ressources.
Dans la suite, je vais donc expliquer ce qui est important pour moi que le système valorise. Aucun modèle n’est parfait, mais certains approchent davantage de l’idéal que j’espère voir advenir.
Liberté
Ouvrir de vrais choix de vie
Dans le contexte de la Société Idéale, nous parlons de la liberté procurée par le système économique. Ce n’est pas une liberté abstraite, mais une liberté vécue au quotidien, qui influence directement nos choix de vie, notre travail et notre consommation. Elle n’est pas non plus un prétexte pour qu’une minorité s’approprie des espaces ou des ressources au détriment des autres.
La liberté véritable, c’est celle qui ouvre des possibilités plutôt qu’elle n’en ferme. Trop souvent, nos choix actuels sont limités par les contraintes de survie, des inégalités ou des systèmes qui orientent nos vies sans que nous en ayons réellement le contrôle.
Elle s’exprime d’abord par la liberté de choisir son métier et son mode de vie, plutôt que d’accepter un rôle imposé par nécessité. Chacun devrait pouvoir se tourner vers un travail ou une activité qui le valorise, qui répond à ses aspirations et qui contribue à la société.
Elle inclut aussi la liberté de choisir ses besoins : décider de ce que l’on veut consommer, acheter ou utiliser, sans être restreint par des monopoles, des barrières artificielles ou un manque d’accès à l’offre.
Enfin, elle repose sur le principe de ne pas faire de choix par subsistance : ne pas être contraint d’accepter un travail ou une consommation uniquement parce qu’il n’existe pas d’alternatives ou par manque de moyens.
La liberté est souvent la valeur la plus défendue, mais elle a ses limites. Elle s’étend jusqu’à l’endroit où commence celle des autres. Vivre ensemble implique de trouver un équilibre qui laisse à chacun le maximum de liberté possible sans écraser celle de son voisin.
Plus il y a de propriété privée, plus certains s’approprient des espaces et des ressources au détriment du reste de la communauté. La grande question devient alors : à qui appartiennent les habitats et les ressources naturelles ? Peut-on vraiment “acheter” une partie de la planète, ou celles-ci doivent-elles appartenir à ceux qui y vivent et en dépendent ?
Dans mes valeurs, la planète ne peut être possédée comme un bien marchand. Elle doit rester un bien commun, au service de tous. Pourquoi une personne qui n’a jamais mis les pieds dans un lieu devrait-elle avoir plus de droits que ceux qui y habitent, simplement parce qu’elle a les moyens de l’acheter ?
Il est certain que ceux qui souhaitent s’enrichir par la possession de la terre n’aimeront pas ce que je propose. Mais pour moi, la liberté n’est pas le droit de priver les autres : c’est le droit de chacun de vivre, de choisir et de participer à la société sans être exclu de ce partage.
Une société où l’on est vraiment libre doit ouvrir des possibilités plutôt qu’en fermer, pour que chacun puisse réellement décider de sa vie.
Prospérité
Produire collectivement de la valeur
Dans la Société Idéale, la prospérité ne se mesure pas en colonnes de chiffres financiers, mais par la capacité collective à créer de la valeur ajoutée. Une société est prospère lorsqu’elle parvient à produire suffisamment de biens et de services qui répondent réellement aux besoins de sa population.
La prospérité se construit donc par le travail utile : celui qui transforme notre énergie en valeur concrète, utilisée et reconnue par la communauté. Chaque heure passée à produire quelque chose qui sert directement les besoins humains enrichit la collectivité. À l’inverse, consacrer des ressources à des activités artificielles ou inutiles éloigne d’une véritable prospérité.
L’idée centrale est que la prospérité se définit par le lien direct entre l’effort fourni et la création de valeur ajoutée répondant aux besoins réels. La prospérité consiste à orienter l’intelligence et les ressources humaines vers ce qui améliore effectivement la vie : se loger, se nourrir, se soigner, apprendre, créer, se déplacer et s’épanouir.
En résumé, la prospérité est la production collective de valeur ajoutée. L’équité viendra ensuite répartir cette valeur en fonction de la contribution de chacun, mais sans prospérité en amont, il n’y a rien à distribuer en aval.
Cela amène une question cruciale : si nous cherchons une croissance économique infinie, cela signifie que nous augmentons constamment nos besoins à combler. Mais où se trouve la limite ? Est-ce vraiment dans la course à toujours plus de richesse que réside le bonheur collectif, ou plutôt dans l’atteinte d’un équilibre où les besoins essentiels sont comblés sans excès ?
Équité
Répartir selon l’apport
Dans la Société Idéale, l’équité concerne la répartition de ce qui est produit. L’objectif est simple : que chacun dispose d’un pouvoir d’achat en lien avec l’apport utile qu’il fournit à la communauté. Le système fonctionne comme un échange d’apports entre individus et société.
L’équité ne signifie pas que tout le monde reçoit la même chose ; elle signifie que chacun reçoit en proportion de sa contribution réelle. On apporte quelque chose d’utile et l’on obtient, en retour, la possibilité de combler ses propres besoins. Ce principe crée un sentiment de justice et renforce la cohésion sociale.
Pour être crédible, l’évaluation de l’apport doit s’appuyer sur des critères clairs et transparents : qualité et quantité du travail fourni, niveau de responsabilité assumé, ou encore la pénibilité de l’effort demandé. Les mêmes règles s’appliquent à tous, sans passe-droit : la reconnaissance suit la contribution.
À l’inverse, investir de l’argent ou spéculer ne constitue pas un effort productif. Cela repose sur la prise de risque, voire sur du hasard, et ne devrait pas ouvrir droit à une récompense dans un système équitable. La valeur doit découler du travail réel, et non de mécanismes de spéculation ou de jeux de hasard assimilables à du gambling.
Un système perçu comme équitable encourage l’effort et la coopération : chacun sait que son travail sera reconnu à sa juste valeur, et que les échanges avec la société se font sur une base compréhensible et prévisible.
Inclusion
N’oublier personne
Dans la Société Idéale, l’inclusion signifie que chaque individu a une place. La valeur d’une personne ne se mesure pas uniquement à sa performance immédiate, mais à sa capacité d’apporter quelque chose, même modeste, à la collectivité.
Une société inclusive reconnaît que tout le monde est capable de produire de la valeur. Si chacun reçoit en retour l’équivalent de ce qu’il apporte, alors personne n’est inutile ou superflu. Chacun contribue à sa manière, et c’est cette variété d’apports qui rend la société plus riche et plus résiliente.
L’inclusion doit aussi reconnaître que notre valeur ajoutée évolue avec l’âge. Un jeune adulte peut offrir son énergie et sa productivité, tandis qu’une personne plus âgée apporte son expérience, sa sagesse et sa capacité à guider. Plutôt que de considérer la retraite comme une fin d’utilité, la société devrait offrir des rôles adaptés tout au long de la vie et quelles que soient les particularités de chacun. Comme dans une tribu, chaque membre conserve un rôle essentiel.
Chaque personne intégrée à la société ajoute un apport supplémentaire. Parfois cet apport est plus grand, parfois plus petit, mais il reste toujours positif. En ce sens, accueillir davantage de personnes signifie accroître la richesse collective. L’inclusion n’est donc pas un fardeau : c’est une source constante d’enrichissement.
Enfin, l’inclusion repose sur un principe de dignité : nul ne doit être laissé pour compte. Ce n’est qu’en intégrant l’ensemble de ses membres qu’une société peut être réellement forte et durable.
Valorisation
Reconnaître chacun
Dans la Société Idéale, la valorisation signifie que chacun doit être reconnu pour ce qu’il apporte. Ce besoin de reconnaissance est universel : il touche autant l’enfant qui fait ses premiers pas que l’adulte qui contribue à une grande réalisation.
La valorisation ne doit pas se limiter aux performances spectaculaires. Chaque effort utile, même discret, mérite d’être reconnu. Réparer, enseigner, soigner, inventer, écouter, transmettre : toutes ces formes d’apports construisent la richesse collective. Une société qui ne met en avant que certaines contributions finit par démotiver et exclure une partie de ses membres.
La valorisation doit aussi être diversifiée et équitable. Elle ne se réduit pas à une récompense matérielle : elle peut prendre la forme de reconnaissance sociale, d’estime, de confiance ou de responsabilités. Ainsi, chacun peut trouver une façon d’être reconnu et respecté.
Comme pour l’inclusion, la valorisation change avec le temps : on ne reconnaît pas les mêmes forces chez un jeune adulte plein d’énergie que chez une personne âgée riche d’expérience. Donner de la valeur à toutes les étapes de la vie permet de maintenir le sentiment d’utilité et d’appartenance tout au long du parcours.
En résumé, valoriser un individu ne doit jamais en dévaloriser un autre. C’est en multipliant les formes de reconnaissance que la société permet à chacun de se sentir utile et respecté, renforçant ainsi la cohésion et la confiance mutuelle.
Pérennité
Préserver l’avenir
Dans la Société Idéale, la pérennité signifie que chaque décision doit tenir compte de son impact à long terme. L’objectif est d’assurer la continuité de la vie, la préservation des ressources et l’équilibre des écosystèmes pour les générations futures.
Trop souvent, nos choix sont dictés par un biais naturel vers le court terme : produire plus, consommer plus, s’enrichir plus vite. Pourtant, la véritable richesse n’a de sens que si elle peut durer. Une société qui sacrifie demain pour maximiser aujourd’hui ne construit pas de futur viable.
On oublie également que nous sommes avant tout des êtres sociaux. Aucune accumulation matérielle individuelle ne peut combler notre besoin fondamental de liens humains et d’harmonie avec notre environnement. Les plus riches eux-mêmes ne sont pas plus heureux si la société et la nature qui les entourent s’appauvrissent ou disparaissent.
La pérennité demande donc de réorienter nos efforts : mieux vaut apprendre à vivre en équilibre avec notre habitat que d’extraire toujours davantage pour un enrichissement éphémère. À quoi bon accumuler des richesses si, ce faisant, nous détruisons la richesse de la vie qui nous entoure, ou si nous condamnons les générations futures à survivre dans un monde appauvri ?
En pratique, cela signifie encourager les comportements durables, développer des technologies responsables et intégrer la notion de long terme dans toutes nos décisions collectives. La pérennité n’est pas un frein : c’est une condition indispensable à la prospérité et au bonheur partagés.
Intégrité
Transparence et justice
Dans la Société Idéale, l’intégrité protège la communauté contre la corruption et les abus. Les règles doivent être claires, accessibles et appliquées équitablement, afin que chacun puisse comprendre et respecter le fonctionnement du système.
Si chacun peut combler ses besoins avec un effort raisonnable et reconnu, l’intérêt de tricher ou de frauder disparaît en grande partie. Le système réduit ainsi les incitations au crime et renforce la confiance collective.
L’intégrité repose aussi sur la capacité d’évolution des règles. Les valeurs d’une société ne sont pas figées : elles changent, se précisent et s’enrichissent au fil du temps. Un bon système doit donc permettre aux citoyens d’ajuster les lois et règlements pour y intégrer de nouveaux concepts ou de nouvelles réalités.
Pour que cette adaptation reste légitime, l’organe chargé de gérer les règles et les lois doit fonctionner en totale transparence. Ses décisions doivent être visibles, expliquées et ouvertes à la critique publique. Qu’il s’agisse d’un parlement, d’un conseil ou d’une autre forme de gouvernance, sa légitimité repose sur la clarté de ses processus et sur sa responsabilité devant l’ensemble de la population.
Dans ce cadre, le système économique ne doit jamais devenir l’influenceur principal des règles. Les décisions collectives doivent avant tout être guidées par le bien-être et la dignité des individus, et non par les seuls intérêts financiers ou productifs. L’économie reste un outil, pas une finalité.
En résumé, l’intégrité n’est pas seulement une protection contre les dérives : c’est la garantie que le pouvoir reste un moyen au service du bien commun, et jamais une fin en soi.
Conclusion
Les valeurs présentées ici forment le socle de ma réflexion. C’est à partir d’elles que j’évaluerai ce qui, dans notre système actuel, me semble fonctionner et ce qui, à mes yeux, doit être repensé.
Je sais que cette vision n’est pas universelle. Chacun porte ses propres valeurs, et la Société Idéale ne peut être identique pour tous. Mon intention n’est donc pas de plaire à tout le monde, mais de tracer les bases d’un monde où moi, j’aimerais vivre.
Si d’autres partagent ces valeurs et ce désir, alors peut-être pourrons-nous construire ensemble une société plus proche de cet idéal commun.